Un jour ailleurs, SDF à Paris 9ème, (C) Greg CLOUZEAU |
En résumé :
Le droit à l'image d'une personne est limité par le droit à l'information, le droit à liberté d'expression et la liberté artistique et culturelle. On ne peut pas (ou presque) interdire à un photographe de prendre une image. En revanche, la diffusion de celle-ci est réglementée. Suivant les lieux, les circonstances, le post-traitement, le légendage, et le mode de diffusion, l'utilisation d'une photographie prise sans le consentement du sujet, est autorisée ou interdite. Par exemple, dans les lieux et manifestations publiques, l'accord du "modèle" n'est pas nécessaire pour diffuser les images où il figure à condition que sa dignité soit respectée, et qu'il ne subisse aucun préjudice grave du fait de sa diffusion. Le fait qu'il soit reconnaissable n'est pas une condition suffisante à l'interdiction.
Sommaire :
- C'est quoi le droit à l'image ?- L'évolution du cadre juridique français de la photographie de rue (lieu public).
La tentation sortie de l'ombre, Paris 9ème, (C) Greg CLOUZEAU |
C'est quoi le droit à l'image ?
Pour résumer en quelques mots les différentes notions de droit à l'image, il faut garder à l'esprit qu'il ne recouvre pas seulement celui des personnes mais prend aussi en compte le droit de la propriété intellectuelle (protection des œuvres et artistes mais aussi des bâtiments et architectes, ou encore des marques) et celui de la liberté d'expression (notamment celle de la presse dans le droit à l'information). A cela, depuis quelques années, il faut ajouter la réglementation liée aux données personnelles sur l'informatique notamment. C'est sans doute pourquoi il est si complexe d'apprécier certaines affaires... Rappelons donc ici dès maintenant qu'en France, il n'existe aucune interdiction concernant l'acte de prise de vue, dans le cadre d'un lieu public, contrairement à ce que les gens pensent. En clair, on ne peut pas interdire (ou presque) à un photographe de prendre une image. En revanche, la diffusion et la commercialisation de ces photographies sont elles bien encadrées. Rappelons aussi, qu'en matière juridique, chaque mot d'un article de loi compte ! C'est bête à dire mais quand le législateur écrit que l'article 226-1, 2° du Code pénal dispose qu'il n'est possible de diffuser une photographie représentant une personne se trouvant dans un lieu privé qu'avec son autorisation, il faut souligner "dans un lieu privé".
Le droit à l'image des personnes, en France, repose donc sur plusieurs textes législatifs mais aussi sur une jurisprudence très étoffée. Cette jurisprudence s'est construite au fil du temps et fait évoluer les contours parfois flous des articles de Loi et l'interprétation que peut en donner un juge notamment pour tenir compte de l'évolution de la société.
L'évolution du cadre juridique français de la photographie de rue (lieu public).
Sa première apparition remonte à 1803 selon que “Chacun a droit au respect de sa vie privée.” et a été transposée dans l'article 9 du Code civil en 1881 La notion est assez large pour que tout à chacun se croit dans son bon droit en invectivant un photographe. C'est pourtant loin d'être aussi simple ! En effet, comme je l'indiquais plus haut, le droit à l'image est composé de plusieurs éléments parfois contradictoires. Ainsi, lorsqu’une image est réalisée dans le cadre du droit à l’information, l’autorisation de diffusion n’est plus systématiquement requise. En effet, l’article 9 du Code civil s'est immédiatement vu opposé une seconde loi, celle du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Aussi, une personne photographiée dans le cadre d’une manifestation publique ne peut s’opposer à sa diffusion si la photo est utilisée à des fins d’actualité, et qu’elle ne porte pas atteinte à sa dignité bien sûr.
Pour juger les litiges entre un photographe et son sujet, les tribunaux s’appuient donc sur différents articles tant du Code pénal et civil (plusieurs fois modifiés) mais aussi du Code de la propriété intellectuelle qui protège les artistes. En deux siècles, la juridiction a autant évolué que les modes de prise de vue et diffusion des images et c'est donc la jurisprudence (les précédents jugements) qui est venue fixer les nouvelles limites.
Boutique en décalage, SDF, Paris 9ème, (C) Greg CLOUZEAU |
Ainsi, avec l'augmentation du nombre de photographes amateurs du fait des simplifications permanentes des techniques de prise de vue (premiers réflexes 24X36 puis numérique), le nombre de plaintes contre les photographes au titre du droit à l’image a littéralement explosé dès les années 1990. En parallèle, l'arrivée du numérique, d'Internet et des réseaux sociaux ont multiplié le nombre d'occasions de diffuser des images. Songez que 1119 photos sont publiées chaque seconde rien que sur Instagram ! Forcément, les litiges devant les tribunaux ne cessent de se multiplier.
La médiatisation des nombreuses affaires de photographies de stars volées par des paparazzi au milieu des années 90 et leurs condamnations régulières ont sans doute contribué à faire croire aux "simples" passants qu'ils pouvaient eux aussi gagner quelques argents... Au point qu'il est maintenant presque impossible de sortir son appareil en pleine rue sans être soit regardé de travers, soit que l'on soit abordé pour nous demander de l'argent. Du coup, pour avoir des images spontanées, les photographes n’ont plus beaucoup de marge de manœuvre. Soit ils se cachent, soit ils se protègent à grand renfort de contrats, quitte à bidouiller les images en faisant de fausses paparazzades. Conséquence, l'authenticité de la photographie de rue y a beaucoup perdue.
Quoique, en matière de spontanéité dans la photographie de rue, on a parfois des surprises ! Doisneau par exemple, ne rechignait pas à faire "rejouer" une scène de rue. La photographie célèbre du Baiser de l'Hôtel de ville en est un parfait exemple ! Cette photographie était une commande du magazine Life sur les amoureux de Paris et la modèle avait reçu un tirage en cadeau qui s'est quand même vendu 185 000 € en 2005. Du coup, ce pseudo instantané n'en n'est pas un mais tombe sous le coup des lois sur la liberté de la presse et la création artistique.
Ainsi, comme l’indiquait encore la Cour de cassation « toute personne dispose sur son image, partie intégrante de sa personnalité, d’un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à sa reproduction » (Cass. Civ. 1ère, 27 février 2007, n° 06-10393). Du parfait inconnu à la grande star internationale, ce droit à l’image concerne tous les individus suivant l'article 9 du code civil.
Mais concernant le droit à l'image et au respect de la vie privée, il y a eu tellement d’abus constatés dans les plaintes des personnes photographiées que quelques jugements ont lentement fait pencher la balance en faveur d'une meilleure protection des photographes. Du moins pendant la dernière décennie. Ainsi, depuis 2008, pour que quelqu’un réussisse à faire interdire une publication d'une image prise dans un lieu public, il faut une double condition : que la personne soit clairement identifiable par un tiers mais aussi qu’elle prouve que l'image et sa diffusion lui porte un préjudice. Le simple fait de se reconnaître sur une image ne suffit pas.
A pleines bouches, Paris Gare de Lyon, (C) Greg CLOUZEAU |
On doit cette protection des photographes en grande partie à l'affaire de François Marie Banier.
En novembre 2008, sort le livre Perdre la tête de François-Marie Banier. Une femme au look particulier photographiée sur un banc avec son chien figure parmi des portraits de marginaux et de SDF. Elle porte plainte, mais est déboutée en vertu du droit à l’expression artistique et surtout, parce que rien ne prouve qu’elle subit un préjudice moral évident à la publication de cette image. Ce jugement est un tournant très important du droit de la photographie de rue en France.
Depuis 2008 il existe donc un arrêté de Cour d'Appel stipulant qu’une personne peut uniquement s’opposer à la diffusion d’une image artistique si elle démontre elle-même l’atteinte à sa dignité ou le préjudice causé, qui doit être d’une exceptionnelle gravité. La photographe et avocate spécialisée dans le droit à l'image et bien connue dans notre milieu en a livré un article très complet
La Cour, dans ce cas, précis, a en effet fait primer le principe de liberté d'expression, en considérant que « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d'art contribuent à l'échange d'idées et d'opinion indispensable à une société démocratique » avant de relever que « le droit à l'image doit céder devant la liberté d'expression chaque fois que l'exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s'expriment spécialement dans le travail d'un artiste, sauf dans le cas d'une publication contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d'une particulière gravité » (CA Paris, 5/11/2008, 06/03296, 1. de C. C/ Gallimard)
Il ne suffit donc plus de figurer sur une photo pour la faire interdire. Il faut en être le sujet principale, être identifiable et subir un préjudice. Ca limite ! Attention toutefois, le préjudice peut venir d'une mauvaise légende qui accompagnerait l’image. Hélas, la très grande majorité des passants ne connaissent pas cette histoire et se croient dans leur bon droit quand ils s'aperçoivent que vous les avez photographié !
Notez aussi que, depuis les attentats de 1995, la diffusion d'images de victimes est très encadrée. Deux victimes de la Station Saint-Michel avaient en effet porté plainte contre la diffusion des photos par Paris-Match les montrant en état de choc et de blessures. En 2000, la loi Guigou a été promulguée à la suite de procès pour affiner le cadre de condamnation des médias dans le cas de couverture journalistique d’attentat. Un autre pan de la loi interdit aussi les images de personnes menottées lorsque leur culpabilité n’a pas été prouvée. Enfin, l’article 16-1-1 du Code civil, issu de la loi du 19 décembre 2008, relative à la législation funéraire, dispose que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. » Un cadavre doit être traité avec dignité en mémoire de son humanité. C’est sur ce fondement que le juge des référés par la décision du 22 avril 2009 a interdit l’exposition « Our Body, à corps ouvert ». Ces dispositions qui protègent les victimes et priment sur le droit à l'information existent aussi parce que certains photographes, sous prétexte d'informer sur un évènement, n'ont prêté aucune attention particulière à leur sujet.
En aout 2012, Aurélie Filipetti confiait ses inquiétudes à Alain Génestar, fondateur du magazine de photojournalisme Polka : “Sans les photographes, la société est sans visage. Au nom d'une loi, censée être une loi protectrice de la personne, on risque de se couper de notre mémoire.”
Marie - Lyn, Paris |
Si la jurisprudence joue donc plutôt en faveur des photographes de rue depuis plusieurs années, ils n'en sont pas moins toujours sous pression. Et ce d'autant que certaines nouvelles dispositions et jugements européens ne vont pas dans le sens de ce qui précède. Sur le droit européen, je vous invite à suivre ce lien technique mais je ne ferai pas de commentaire. Par ailleurs, l'utilisation d'une photographie d'une personne non consentante à des fins commerciales ou publicitaires reste interdite et considérée comme un excès au droit à l'information.
C'est une question de bon sens mais il est des situations peu flatteuses où l’on ne voudrait pas être à la place de la personne photographiée. Ces cas-là risquent à coup sûr de rentrer dans le cadre des images portant atteinte à la dignité d’une personne. Rappelez-vous aussi qu'une mise en ligne sur Internet et ses réseaux sociaux sont des formes de publication qui donc peuvent nécessiter une autorisation écrite et définie dans le temps et l'objet.
Mais, si la personne n'est pas reconnaissable et identifiable – individu est flou, de dos, dans une foule, ou encore à contre-jour, masquée... –, l’autorisation ne sera pas nécessaire si le lieu est dans le domaine public. Dans un groupe de personnes, c’est la notion de cadrage restrictif qui intervient. Là, oubliez l’idée qu’une autorisation n’est pas nécessaire pour vous demander si la personne est l’élément principal de l’image. C’est parfois très subjectif… et un juge peu avoir une lecture différente de l’image de la vôtre.
Petite précision aussi qui a son importance, le métro appartient à la RATP en tant qu’espace privatisé et toute prise de vue est interdite sans autorisation préalable. La raison principale évoquée est une question de sécurité. La présence d’un appareil photo suffit parfois à provoquer une altercation et la RATP préfère éviter tout risque d’agressivité entre les usagers. Quant à la SNCF, elle applique une politique différente selon qu’il s’agit de photo de professionnels ou d’amateur. Pour les premiers, il faut déposer en amont une demande d’autorisation qui peut être payante. Pour les seconds, un texte officiel explique la politique appliquée : “Depuis le 1er janvier 1989, les prises de vue de matériel et d’installations ferroviaires réalisées par le grand public et les amateurs sont tolérées sans formalité particulière dans les parties normalement accessibles au public des gares SNCF. Toutefois, afin que ces prises de vues n’entraînent aucune gêne, l’utilisation des pieds d’appareil photo, d’éclairage d’appoint ou de flash ne peut être admise dans ces gares. Cette tolérance peut être suspendue momentanément par les responsables locaux des gares lorsque des événements particuliers surviennent (travaux, manifestations particulières).”
Entre jambes, Paris |
Depuis quelques années donc, nous rentrons à nouveau dans une phase d'hyper protection des sujets notamment pour faire face au cyberharcèlement et autres attaques envers les femmes ! C'est une nécessité pour protéger les victimes de nouvelles pratiques comme le Revenge porn par exemple. Hélas, cette hyper-juridicisation de nos rapports conduit inévitablement à l'autocensure du photographe et donc à l'appauvrissement de l'art photographique. D'ailleurs, la délégation ministérielle de la photographie au sein de le la culture, a été réduite au rang de simple «bureau» en 2021. Autant dire, une sous-catégorie dans les arcanes ministériels qui démontre le peu d'intérêt de l'Etat pour la défense de cet art parmi les autres arts graphiques.
Pas vu, pas pris !
Deux attitudes sont donc possibles pour les photographes. La première consiste à se camoufler au maximum, en photographiant de loin ou à la sauvette pour ne pas être pris. Difficile dans ce cas de contacter son sujet pour obtenir les autorisations nécessaires. À l’inverse, certains confrères rentrent en contact avec le sujet puis le mettent en scène après avoir rempli toutes les paperasses nécessaires. Et puis, il y a le mix des deux, photographier en allant à la rencontre de l’autre... Pas facile d'autant que d’innombrables personnes pensent toujours qu’il est interdit de “photographier les gens” dans la rue. Cela suppose aussi que le photographe sorte de sa timidité naturelle...
Le photographe Bernard Jolivalt dresse d'ailleurs un triste constat sur l’évolution de la perception des photographes de rue depuis qu’il a débuté à la fin des années 1960. Lui-même a eu affaire plusieurs fois à des menaces à l’encontre de son matériel. “Dans l’inconscient collectif est rentrée l’idée que soit une photo est posée, faite en studio, où les gens se préparent pour la photo, soit la photo est prise sur le vif, à la volée et donc "volée". Dès qu’on parle de photo à la sauvette, il y a un petit côté gentiment délictueux, et je pense que ce n’est pas souhaitable. C’est un peu malheureux d’en être arrivé là, parce qu’il y a une époque où ce genre d’altercation ne se posait absolument pas. Pendant des années c’est un problème qui ne m’a même pas effleuré l’esprit. On pouvait photographier dans une sérénité totale et ça se passait très bien. Il faut croire que notre civilisation a viré un peu parano parce que tous les photographes de rue ont des anecdotes à raconter alors que dans le temps, c’était exceptionnel.”
Et comme il l'indiquait dans un article, les autorisations, très peu pour lui ! En général, il préfère rester discret, cette distance sied mieux à son caractère réservé pour ne pas dire timide. Mais le contact se fait parfois naturellement. “Ça dépend entièrement du feeling que j’ai avec les gens, on ne peut pas vraiment fixer de règle là-dessus.” Par contre, les quelques fois où il a été pris à parti, Bernard a les mots pour se défendre, même si, dit-il, “il ne s’agit pas de faire un cours magistral de droit dans la rue, mais plutôt de calmer le jeu.” On ne lui a jamais demandé d’effacer une photo de son appareil, mais si cette situation devait arriver, Bernard est prêt à régler ça au poste de police. Cela m'est déjà arrivé à trois reprises et le plus souvent, j'ai effacé l'image non sans avoir fait remarqué à la personne combien l'image était "belle" et que sa réaction était stupide voir disproportionnée pour la plus agressive !
Bien entendu, selon l’enjeu, publication artistique en exposition ou usage commercial, on peut envisager une rémunération ou, du moins, un tirage d'art offert. Dans certains cas, c'est aussi un échange de bon procédé avec de la visibilité sur les réseaux sociaux de la personne et du photographe.
Au passage, je rappelle qu'une autorisation doit toujours spécifier les noms et coordonnées du photographe et du “modèle” ainsi que le mode de diffusion de l'image et la durée autorisée. Si le “pas vu, pas pris” est la manière la plus répandue de photographier dans la rue tant chez les amateurs que chez les pros, ce sont souvent ces derniers qui se font attrapés à cause de la plus grande visibilité de leurs images. Et ce d'autant plus que la motivation des plaignants est presque toujours financière. Je trouve ça d'autant plus triste que ces mêmes plaignants vont en parallèle souvent s'afficher avec force sur les réseaux sociaux, en exhibant leur intimité. Ce faisant, elles aident les juges à se prononcer en notre faveur comme le rappelait Joëlle Verbruge avec cette affaire typique en 2014. C’est pourquoi l'étude des jugements et jurisprudences est devenue aussi importante que les textes de loi dans les décisions prises.
Le baiser des amis, Paris, (C) Greg Clouzeau |
Alors que risque t-on à prendre des images dans la rue ?
Si vous m'avez bien suivi...et pris les précautions nécessaires, rien ou, pas grand chose à part quelques heures perdues.
La loi prévoit des sanctions très diverses allant de l’interdiction de la diffusion d’une image au versement de dommages et intérêts pour le préjudice subi. Parfois, la peine se limitera au paiement d’un euro symbolique. Mais, les sanctions pénales et financières peuvent être très lourdes dès lors qu’il s’agit d’une utilisation commerciale, ou de diffusion massive contraire à la loi et qui provoquerait de lourds préjudices moraux ou financiers pour la personne concernée.
Violer le respect de la vie privée reste un délit pénal. On s’expose à une peine de 15 000 € d’amende s’il s’agit de violation de la vie privée, de la dignité des victimes d’attentat, de la diffusion d’images d’un présumé innocent. Et les peines s'alourdissent lorsqu’il est prouvé qu’il y avait une intention de nuire, qu'il s'agit d’un mineur sans accord des deux parents etc. Mais normalement, si vous avez tout bien fait, on ne nous opposera pas, l'article 226-1 du code pénal sur l'atteinte à l'intimité de la vie privée car cet article possède suffisamment de conditions (en gras ci-dessous) pour protéger le photographe de rue.
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.
Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. »
En revanche si les images prennent un caractère sexuel, cela devient très différent ! En effet, pour protéger les femmes, il a été créé plusieurs nouveaux délits ayant trait au "caractère impudique" de certaines images volées. Si on comprend bien l'intérêt et la nécessité d'une telle mesure, l'introduction du délit de voyeurisme, fait courir de grands risques au photographe de rue. Je me suis longuement exprimé sur le sujet en 2018.
Devine qui est là, Paris (C) Greg Clouzeau |
Pour les images à caractère sexuel, la loi est très claire :
« Lorsque les délits prévus aux articles 226-1 et 226-2 portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60.000 € d’amende.
A la suite du mouvement #Metoo, les femmes se sont mises à parler. Nombreuses sont celles qui ont été victimes d'agression sexuelle ou de harcèlement au travail, dans la rue ou dans les transports... Il a donc été décidé qu'une nouvelle loi viendrait renforcer l'arsenal législatif pour faire cesser ces pratiques. Aussi l’amendement 135 du 28 juin 2018 du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes avait prévu l’insertion dans le code pénal du délit de captation d’image impudique :
- Art. 226-3-1. : “Constitue une captation d’images impudiques le fait d’user de tout moyen afin d’apercevoir ou tenter d’apercevoir les parties intimes d’une personne que celle-ci, du fait de son habillement ou de sa présence dans un lieu clos, a caché à la vue des tiers, lorsqu’il est commis à l’insu ou sans le consentement de la personne".
Ce projet de loi a toutefois été modifiée et a donné naissance à un nouveau délit prévu à l’article 226-3-1 du Code pénal rédigé comme suit : « Le fait d’user de tout moyen afin d’apercevoir les parties intimes d’une personne que celle-ci, du fait de son habillement ou de sa présence dans un lieu clos, a cachée à la vue des tiers, lorsqu’il est commis à l’insu ou sans le consentement de la personne ». On ne parle donc plus de captation d'image impudique. J'ai longuement évoqué ce sujet dans un article du blog en 2018 car j'ai plusieurs fois été interpelé sur certaines de mes images de la série #voyageuses. Cette Loi est essentielle pour la protection des victimes mais elle est sujette à trop d'interprétation à mon sens. Si on comprend la nécessité de punir plus sévèrement le photographe et diffuseur d'image que le simple voyeur, elle ne précise toujours pas ce que sont les "parties intimes" !
Les victimes sont presque exclusivement féminines et ne savent pas la plupart du temps qu’elles ont été observées. Les images subtilisées (parfois issues de vidéos) prises dans les toilettes ou les cabines d'essayage ou de vestiaire, peuvent aussi être celles de femmes assises ou debout dans les transports, les jambes entrouvertes, de telle manière à ce que leurs sous-vêtements soient observables. Cette pratique est nommée upskirting (en anglais « upskirt » qui signifie « sous la jupe »). Les hommes qui pratiquent l’upskirting sont attirés par la représentation de l’intimité féminine et, le vêtement qui le couvre peut alors avoir une valeur de fétiche. Cette pratique est de plus en plus répandue et notamment chez les jeunes. Pour cause, la représentation des petites culottes des écolières est très populaire dans le manga japonais et a émergé dans le travail du mangaka Osamu Tezuka ( le créateur d’Astro le petit robot) ! Le projet de loi porte aussi sur une pratique voyeuriste nommée Creepshot qui vise à photographier à la dérobée et de diffuser un cliché "sexuellement suggestif" d’une femme. Là aussi, très mal défini à mon sens, cette pratique engloberait les photographies de décolletés plongeants, cuisses dénudées, sous vêtement apparent... Du coup, un peu tout pour peu que l'on pense qu'une cuisse, un nombril ou un morceau de poitrine sont forcément sexuellement suggestifs !
Et, attention, se montrer en public dans un état ou une attitude impudique à la vue d’autrui est tout aussi répréhensible (Article 222-32) ! Là encore, la jurisprudence estime que deux éléments constitutifs doivent être obligatoirement constatés par le juge : l'exhibition sexuelle en public et la conscience d'offenser la pudeur d'autrui. C'est sur cette base que des militantes des femen ont été condamnées. En 1965, il y a donc presque 60 ans, une décision du Tribunal correctionnel de Grasse avait estimée, qu'une "poitrine entièrement nue dans les rues d’une ville, même à proximité d’une plage, est de nature à provoquer le scandale et à offenser la pudeur du plus grand nombre”(T. corr. Grasse, 20 mai 1965 : JCP G 1965, II, 14323, obs. AR ; Rev. sc. crim. 1965, p. 881). Heureusement, les temps changent et de nos jours il n'y a plus d’exhibition sexuelle lorsqu'une femme laisse entrevoir des seins nus sous une veste. Toutefois, si en mars 2016, trois membres du collectif des Femens ont été relaxés par le tribunal correctionnel de Lille après que ces activistes se soient dénudées en pleine rue en signe de protestation, en 2014, la journaliste et ex-Femen, Éloïse Bouton a été condamnée pour “exhibition sexuelle” après avoir mimé un avortement seins nus dans une église. Jugement confirmé par l'arrêt du 15 février 2017 de la Cour d'appel de Paris.
L'avenir nous dira sans doute à coup de jurisprudence où s'arrête la photographie artistique de rue et où commence le voyeurisme... En attendant, les photographes de rue devront sans doute se contenter de photographier les femmes en jean pour ne prendre aucun risque.
Lèche vitrine dans Paris sexy. (C) Greg Clouzeau |
Et si nous, les photographes, réfléchissions un peu plus à nos pratiques ?
Etudier le droit à l'image et comment se prémunir d'une éventuelle interdiction de diffusion, ne devrait pas être une raison pour ne pas réfléchir un tant soit peu à notre pratique ! Mais l’on peut aussi retourner le problème et s'interroger du point de vue de celui ou celle à qui on a dérobé l’image. On le voit avec les photographes de guerre, certains font preuve de beaucoup d'humanité dans leurs images. Alors, dans notre pratique quotidienne de la photographie de rue, cela doit quand même être beaucoup plus facile de se mettre à la place du sujet et de faire preuve de compassion !
J'ai beaucoup de difficulté à photographier dans la rue celle et ceux qui sont dans la plus grande détresse. Je suis un immense fan des portraits de SDF de Lee Jeffries mais je serai bien incapable d'aller à leur rencontre pour en tirer une image. L'exploitation commerciale de la misère par les photographes me mets toujours mal à l'aise. Et pourtant, de très grand(e)s photographes, notamment aux Etats Unis, ont fait carrière en illustrant les grandes crises du pays comme le crac boursier de 1929. Je pense aux très beaux portraits de Dorothea Lange, aux clichés de Walker Evans ou, en France, au travaux de Willy Ronis. Aujourd'hui encore, les crises économiques conduisent des photographes à reprendre le flambeau des photographes engagés par la Farm Security Administration sous Roosevelt. Aux USA, en 2010, ils y avait par exemple, Anthony Suau, Danny Wilcox Frazier, Stanley Greene, Brenda Ann Kenneally, David Burnett…pour illustrer la crise des subprimes et leur cortège d'expulsion Mais face au photojournalisme humanitaire et ses terribles images de crises (lire à ce propos cet article), peut-il y avoir une place pour la photographie humaniste et artistique ? Ici, la photographie fleurte toujours entre portrait artistique et étude sociétale, entre humanisme et engagement politique.
Dominiqué Baqué dans son livre "Pour un nouvel art politique, de l'art contemporain au documentaire", (Ed : Flammarion, 2004) se réfère à quelques photographies politiques célèbres (la Pieta du Kosovo, la Madone de Benthala), et à un dossier de La Recherche Photographique (Paris, MEP n°15) paru en 1993. Dans une société où la dimension collective s'efface au profit de l'individuel, les photographies humanitaires ne montrent ni des citoyens, ni des êtres historiques, mais un "être humain minimal" comme le réfugié de Hannah Arendt. Le politique régresse vers le caritatif. On ne représente plus la crise du social, mais l'humanité déchue, avec laquelle on ne peut que subir, déplorer et compatir. La victime n'a plus d'espoir politique. Le rebelle est remplacé par un gros plan obscène sur la souffrance - telle est l'ignominie, visuelle et éthique, de la photographie humanitaire.
Bref, interrogeons-nous un instant sur toutes ces cartes postales et autres portraits pris à l'autre bout du monde, de vieux paysans burinés par le soleil, de pêcheurs, artisans, commerçants, femmes ou enfants qui se vendent depuis des décennies pour quelques roupies aux objectifs des touristes et photographes. Ces images ont-elles été réalisées dans le respect du sujet ? Et, vous qui devenez photographe, le temps d'une voyage, ne trouvez-vous pas qu'il plus facile de braquer son appareil sur un enfant d’Asie alors qu’on y réfléchirait plus d'une fois avant de le faire dans les rues de Paris ? C'est assez facile de photographier un touriste à Paris ou un inconnu à l'étranger dans un lieu où l'on ne reviendra pas... On ne craint pas la poursuite judiciaire (qui peut quand même avoir lieu)... Et, c'est d'autant plus vrai qu'il suffit parfois de verser quelques piécettes pour obtenir les bonnes grâce de ces villageois devenus malgré eux une attraction touristique.
Le lit vide, Paris 9ème, (C) Greg CLOUZEAU |
L'envie de sortir une "bonne image" assortie de la crainte de se voir menacer juridiquement par son sujet ne devraient pourtant pas être nos seules motivations pour prêter attention à l'individu ! Je le reconnais volontiers, j'ai capturé de nombreuses images sans vraiment me soucier de la personne que je cadrais. Je reconnais aussi que je ne suis pas altruiste ou philanthrope dans ma pratique photographique. Pourtant, n'allez pas croire que je ne compatis pas à certaines situations ou que je ne respecte pas les personnes que je photographie. Le plus grand écueil est sans doute de réduire l’autre à un simple sujet au lieu d'un alter ego. Le décès du photographe René Robert dans une rue de Paris après plus de huit heures allongé sur le trottoir dans l'indifférence générale est hélas venu nous rappeler que nous passons chaque jour devant des tas de gens en détresse sans même les voir. J'ai parfois photographié cette misère sans vérifier leur état de santé et je le regrette à chaque fois. Je peux vous assurer également que si je venais à vendre un tirage d'art de certains SDF que je croise chaque matin, je partagerai volontiers avec eux, le bénéfice. Il y a peu, j'ai découvert Pic&Pick, une petit agence française gérant une banque d'images solidaire reversant une partie de son bénéfice à des associations et garantie 50% du prix de vente aux photographes !
On peut encore pousser le débat un peu plus loin. Comment ne pas s'interroger sur l'exploitation commerciale de certaines images de crise par les photographes ? Et que penser, des nombreux prix prestigieux qui leur sont parfois décernés sous couvert du droit à l’information ? A l'heure du commerce équitable et de la responsabilité sociétale, comment concilier ce rapport entre ces deux univers, celui des photographiés dans la misère, la guerre ou les plus grandes difficultés et, celui des photographes qui vont iconiser ces images primées dans de grands festivals et nourrir notre société d'information et de consommation ? Gros débats en perspective qui va au-delà de la protection juridique de la personne ou de l'aspect financier pour arriver sur un plan moral, éthique et philosophique. On me rétorquera que je sort du cadre car il ne s'agit plus de photographie de rue mais de photojournalisme. Certes. Mais le débat permet d'éclairer un peu pourquoi le regard des photographiés a changé vis à vis des photographes.
Il ne s’agit pas de condamner sans appel tous ces courageux JRI (journaliste reporter d'images) qui risquent leur vie pour nous informer en témoignant visuellement d'une triste réalité. Vous connaissez la devise : le poids des mots, le choc des photos... Mais quand il s’agit de générer un profit juteux, certains y perdent leur éthique et vont jusqu'à la mise en scène !
Heureusement, il y a aussi de belles histoires photographiques à raconter.
Vous connaissez certainement cette image d'une petite fille fuyant les attaques au napalm, prise en 1972 au Vietnam, par le photographe Nick Ut. Pour le monde entier, ce cliché devient le symbole de la cruauté de ce conflit et participe à mettre fin à cette guerre. Nick Ut en tire une renommée internationale mais surtout, il n'a pas à en rougir car après avoir déclenché, il aide au sauvetage de la petite Kim Phuc. Aujourd'hui, je ne suis pas certain que beaucoup de photojournalistes fassent de même. Je sais que Lee Jeffries s'investi énormément auprès de SDF et sans abris dont il a tiré le portrait avec profit. La guerre en Ukraine a généré un afflux massif de JRI qui étaient plus de 2000 sur place. Parmi eux, Eric Bouvet, un photojournaliste parisien aussi épris de montagne que je peux l'être, lauréat de cinq World Press Photo Awards, du Frontline Club Award, et de deux Visa d’Or News, compte sans doute parmi les plus attentifs aux conditions de vie de ses sujets. Si l'objectif nous détache par le recul qu'il nous offre sur la scène, il ne doit pas nous prémunir de compassion. Eric collabore ainsi avec de nombreuses ONG comme la Croix rouge, Médecins du Monde, Médecins sans Frontière... Eric Bouvet est aussi retourné en Ukraine pour retrouver certains des combattants de la révolution de Maïdan de 2014 qu'il avait photographié. C'est le cas de Vasyl. A travers ses images, Eric peut raconter son histoire : des barricades de la Place de la Liberté à son engagement volontaire dans l’armée comme coordinateur d’une équipe de secours sur le front. Après une longue attente et de nombreux contre-temps, Éric Bouvet a rejoint Vasyl dans un convoi de troupes ukrainiennes qui parcourait les zones libérées des forces russes au nord de la capitale, en direction de la Bielorussie.
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