Au Printemps, lorsque les jours s'allongent et que la température monte, les jupes raccourcissent et aux premières grosses chaleurs, les femmes revendiquent le droits d'être court-vêtues sans pour autant être harcelées. C'est aussi l'occasion d'inévitables polémiques sur ces minijupes trop courtes et autres crop-top portés par des lycéennes et collégiennes. Moi, pendant ce temps, je continue de prendre des images dans la rue ou les transport et les filles y sont donc un peu plus dénudées qu'à l'accoutumé ! Si ces photographies ne font pourtant que témoigner de leur époque, et de la mode du moment, elles me valent parfois de vives critiques... (fort heureusement d'une minorité).
Ces photos de rue qui sont si faciles à prendre sont de plus en plus difficiles à montrer tant la Loi est devenue contraignante à ce sujet (je consacre aussi
une très longue page ici à la réglementation en
street photography). Alors, oui, Mesdames, nous, les hommes, ne sommes pas insensibles à vos habits. Et hélas, oui, une infime partie d'entre nous interprète votre cuisse apparente comme une invitation à engager très lourdement la discussion dans la rue. Mais enfin, si notre regard plonge malgré tout vers cet impressionnant décolleté, pouvez-vous affirmer, sans mentir, que vous portez cette tenue "sexy" uniquement par plaisir et confort et non pour être vue ? Je ne crois pas. D'ailleurs, rappelez-vous pourquoi vous avez choisi ce matin de porter ce petit haut qui vous découvre le nombril. Mais attention, soyons clairs. Loin de moi l'idée de justifier les mauvais comportements masculins ! Je veux juste rappeler ici que je ne suis ni responsable du choix des tenues des hommes et des femmes que je photographie dans la rue, ni responsable de leur posture.
J'aime ce qui est beau et esthétique. Mon regard de photographe capte rapidement dans la foule qui arpente les rues de Paris, le sujet qui sera agréable à voir et à mettre en image. Et, je veux (encore) croire que je ne fais pas de mal en montrant ce que vous nous donnez librement à voir. J'aime les femmes et je les respecte au plus haut point mais franchement, entre l'hyper féminisme très en vogue depuis le mouvement #Metoo et la pudibonderie excessive de notre société, il devient de plus en plus difficile d'être un homme dans les milieux artistiques. Certes il est important que les artistes femmes puissent exposer et vendre aussi facilement que leurs homologues masculins, mais aujourd'hui, cela se fait de plus en plus au travers de rassemblements et expositions dont les hommes sont exclus !
Par ailleurs, je connais plusieurs artistes et modèles, femmes et hommes, qui ne peuvent plus travailler et gagner leur vie correctement parce qu'ils - elles ont perdu en visibilité, condamné.e.s et bannis des réseaux sociaux pour avoir publié des nus, un bout de sein ou un entrejambe mal flouté. Pourtant, le nu est une forme d'art toujours largement exposé dans les plus grands musées du monde. Je connais des modèles pour qui, exposer son corps est une forme de thérapie leur permettant de se réconcilier avec leur image. Enfin, je connais aussi des artistes et des photographes bienveillants qui aident ces modèles, hommes ou femmes, à s'accepter. Mais sous prétexte de protéger les femmes, l'intégrisme et l'intolérance refont surface. Alors, ils, elles finissent par s'autocensurer, et à renoncer à certaines créations et, là, c'est l'art et la culture qui régressent.
“Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tout sens, lui donnant son équilibre et son harmonie.” François Truffaut
Donc, hélas, pour nous, pauvres photographes de rue, la Loi est venue renforcer l'arsenal répressif sans tenir compte de la notion artistique d'une image. C'est un fait, il y a dans nos sociétés beaucoup de pervers et hier, seul les violeurs risquaient vraiment quelque chose. Ainsi, la Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 parue au JO n° 0179 du 5 août 2018 a finalement créé un délit de voyeurisme réprimé par l' Article 226-3-1 du code pénal qui est rédigé comme suit :
"-Le fait d'user de tout moyen afin d'apercevoir les parties intimes d'une personne que celle-ci, du fait de son habillement ou de sa présence dans un lieu clos, a caché à la vue des tiers, lorsqu'il est commis à l'insu ou sans le consentement de la personne, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende.
« Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende :
« 1° Lorsqu'ils sont commis par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;
« 2° Lorsqu'ils sont commis sur un mineur ;
« 3° Lorsqu'ils sont commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
« 4° Lorsqu'ils sont commis par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ;
« 5° Lorsqu'ils sont commis dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs ou dans un lieu destiné à l'accès à un moyen de transport collectif de voyageurs ;
« 6° Lorsque des images ont été fixées, enregistrées ou transmises."
Cet article reprend très largement la rédaction qui était initialement envisagée pour cette loi et qui prévoyait un délit de « captation d’images impudiques ». C'est une très bonne chose mais je trouve regrettable quand même que cette loi ait spécifiquement doublée les sanctions quand le lieu est "affecté au transport" et pas lorsqu'il s'agit de toilettes, vestiaires ou encore de cabines d'essayage d'un magasin ("lieu clos" du premier alinéa) ! Ce n'est ni logique, ni juste car dans les transports on s'expose volontairement à la vue de tous, alors qu'aux toilettes, douches, vestiaires ou cabines d'essayage, on s'est spécifiquement isolé pour échapper à ces regards ! Bref, tu risques deux fois plus en te baissant pour ramasser ton smartphone tombé dans le train que devant les toilettes pour dames !!!
Et pour, photographes, c'est la peine maximum dans tous les cas selon l'alinéa 6 ! Il va donc falloir redoubler de vigilance lors cadrage pour ne pas risquer de tomber sous le coup de la Loi. Car soyez en certaines mesdames, mon intention n'est pas d'apercevoir votre intimité cachée mais bien de saisir un posture esthétique.
Donc, quitte à me répéter, cette loi était véritablement nécessaire. Elle permettra sans doute de poursuivre nombre de détraqués. Mais, cette loi ne doit pas non plus nuire à l'expression artistique et lorsque un vêtement laisse entrevoir un peu du corps d'une femme ce n'est certes pas un consentement ou une invitation à la drague, mais c'est bien un choix de la femme qui le porte. Montrer un nombril, un dos nu ou une cuisse librement exposé à la vue de tous, ne doit pas être un sujet tabou et impudique qu'il faudrait cacher. Car si tel est le cas, nous ne sommes plus très loin du puritanisme américain et ou de l'extrémisme religieux. Bref, si les femmes doivent être totalement libre de choisir leur tenue sans être harcelées, elles ne doivent pas pour autant nier pourquoi elles choisissent certains vêtements, ni l'image qu'elles vont renvoyer.
Car peut-on vraiment nier la charge érotique de certaines tenues ? Et finalement, pour qui s’habille-t-on vraiment ? Qui de mieux placé qu'une femme pour rappeler que les vêtements définissent aussi notre personnalité et proposent un subtil jeu de séduction dans nos rapports aux autres ? Pour répondre à la question, je citerai ici un article très intéressant de Francesca Serra
publié en 2011 dans Grazia que l'on pourra compléter par un autre publié dans GQ. Donc, pour Francesca Serra, il y a 7 raisons de choisir tel ou tel vêtement et toutes renvoient à une image de soi.
1/ Pour soi-même
2/ Pour sa mère
3/ Pour les copines
4/ Pour la société
5/ Pour les hommes
6/ Pour son homme
7/ Pour un idéal imaginaire
A la limite, seul le jogging, TS, claquettes ou la combi panda piloupilou que l'on enfile pour s'isoler chez soi répond à un besoin primaire de confort et de protection de notre corps dénudé.
Parce que, quoi qu'on en dise, la majorité des vêtement est inévitablement dotée d’une charge sexuelle (négative ou positive). Il y a bien longtemps que le vêtement va au-delà de la simple protection corporelle. "Se couvrir" c'est aussi, depuis toujours, "dissimuler" à l'autre ses faiblesses et ses atouts. A ces fonctions primaires, s'est ajoutée une notion de moralité renforcée par des siècles d'oppression religieuse. Ainsi, l'imagerie populaire présente toujours Eve et Adam vêtus d’une feuille dont la seule fonction est de nous cacher leur intimité. Un corps à la nudité voilée fait de nous un être humain et nous sort de notre nature animale. Le vêtement est donc la première manifestation de notre identité que l'on donne à voir à l'autre. Le vêtement a donc une double fonction contradictoire d’inhibition et d’exhibition. Il permet de distinguer les hommes des femmes et mêmes les hommes entre eux et les femmes entre elles. Il catégorise !
« Tous les peuples de toutes les époques ont utilisé le vêtement pour indiquer le sexe de celui qui le porte. Les costumes masculins et féminins sont toujours et partout différents, mais la différence peut porter sur l’ensemble ou sur un détail. Encore faut-il savoir que ce qui peut paraître un détail pour des étrangers peut constituer l’essentiel à l’intérieur du groupe. C’est ainsi que dans l’antiquité les Grecs et les Romains portaient tous des toges, mais le plissé n’était pas le même pour les hommes et les femmes », rappelle Marc-Alain Descamps.
Traduire ce langage du vêtement est, depuis des siècles, un des objectifs de la mode ! Certains détails vestimentaires ont poussé très loin les codes du non verbal. Ce fut le cas des grains de beauté puis des mouches notamment au XVIIe et XVIIIe. Leur emplacement sur le visage ou la poitrine indiquait à qui savait le voir l'humeur du moment. (
Voyez cet article sur ce langage codifié) Et bien entendu, le vêtement attire aussi l’attention sur ce qu’il cache.
Le vêtement est un moyen de communication, disant quelque chose de celui qui le porte avant même qu’il ne s’exprime. Comme le souligne une psychanalyste, M. Balmary, “
le vêtement a toujours une importance dans la relation à soi-même ou à autrui. Sa beauté est un agrément pour l'autre comme pour celui qui le porte. Il peut révéler un juste amour de soi et, variant, fût-ce d’un détail, avec l’état d’âme, manifester à autrui la couleur et le ton dans lequel peut aujourd’hui s’établir la relation. Son excès, en plus ou en moins, de l’extrême coquetterie à la clochardisation, révèle la perturbation de l’identité devant le regard. (…)”
Que les différentes cultures et religions poussent ce rôle du vêtement dans un sens ou dans l’autre (exhiber ou inhiber) le vêtement a inévitablement une connotation sexuel. Il faudrait inventer une tenue universelle et asexuée pour s'en affranchir totalement. Si la morale ou la société impose de dissimuler certaines parties du corps, l'un des objectifs dans la mode a toujours été de fleurter avec les interdits. Les robes sont devenues moulantes pour surligner le galbe des fesses, des hanches et des seins. Elles se sont raccourcies ou fendues pour dévoiler toujours plus de jambe. Bref, des mini-jupes aux décolletés profonds et autres procédés de transparence, le vêtement féminin couvre autant qu'il laisse découvrir.
Une fois admise cette charge sexuelle du vêtement, s’habiller peut devenir complexe et ce d'autant plus que le vêtement fait partie du jeu de séduction que les femmes entretiennent avec les hommes et inversement. C'est plus ou moins conscient, direct et explicite. Dans tous les cas, le vêtement peut attirer l’attention, nous distinguer des autres et raconter quelque chose (je vais travailler, je vais faire la fête...) Le vêtement véhicule donc un discours qui sera pris en compte et interprété parmi un ensemble d’autres signaux comme la posture physique, l’échange verbal, etc.
Pour Francesca Serra, suite à cette affirmation sexuelle, le vêtement véhicule donc des messages secondaires : je suis timide, coincée, extravertie, je m’assume, j’aime le rock, etc. Il signale une intention (je me suis faite belle exprès ; cette robe n’est pas tombée sur mes épaules par hasard) Et on peut aussi faire mentir sa tenue (s’habiller de façon outrancière pour signaler une disponibilité sexuelle, quand en réalité on est dans une phase de repli sur soi, par exemple). [...]
Le vêtement, en attribuant à chacun un rôle dans le jeu de séduction et en véhiculant une image de soi, peut donc favoriser les échanges entre les sexes. A propos des adolescentes,
Maria Luisa Poumaillou, notre Anna Wintour, ajoutait : «
C’est important pour elles l’idée que les garçons vont se faire d’elles. Il faut absolument plaire aux garçons ». Ca commence à l’adolescence et on ne sait pas très bien quand ça finit... On choisit d’ailleurs souvent ses vêtements avec deux critères en têtes : mettre en valeur ses atouts et cacher ses défauts. Une ceinture haute si on a la taille fine, un décolleté pour attirer le regard sur la poitrine, etc. Dire « Je m’habille pour moi, pas pour les hommes », c’est nier la dimension sexuelle du vêtement. Mais pour autant, ce n’est pas parce qu’on accorde aux pièces que l’on porte une valeur sexuelle, qu’on s’habille «pour» les hommes : ce n’est pas un don qu’on leur fait, c’est une affirmation du désir qu’on a de leur plaire et ce désir nous appartient.»
Bien entendu, on ne se balade pas nu et, garçon ou fille, en France, la règle est la même pour tous. C’est la loi et
le naturisme se limite donc à des lieux strictement privés ou spécifiquement aménagés à cet effet. Mais la loi ne dit pas précisément quelles parties du corps, en dehors des parties intimes, on doit couvrir. Alors parfois, certaines communes ont pris des arrêtés interdisant par exemple, aux hommes comme aux femmes, de déambuler dans la ville torse nu. Donc, rappelez-vous Mesdames, Mesdemoiselles qu'exposer ses seins par exemple est aussi réprimé par la loi selon l’article 222-32 du code pénal qui définit «
l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public » (
voir cette affaire à propos de femen).
Donc, comme chaque année, je vais profiter des beaux jours pour prendre de nouvelles images des femmes dans la rue et dans les transports. Ces images susciteront certainement de nouvelles critiques. Elles ne seront pourtant que le reflet de ce que je vois et de notre société. Mon #challengephotoquotidien reste le même : vous proposer chaque jour, au moins une image originale prise durant mes trajets de banlieusard vers mon travail à Paris. Dans la mesure du possible, j'essaie de voir du "beau" sur ce trajet routinier et ennuyeux, dans un environnement urbain, sale et pollué ; ponctué d'incidents de transport et où les gens ne font plus attention à leurs contemporains. Alors, si par un "heureux" hasard, vous devenez ma Muse d'un jour, et que vous avez lu cet article, sachez que j'ai trouvé esthétique l'image que vous renvoyez et que je n'ai pas eu de mauvaises pensées ou intentions à votre égard !
Hélas, je sais, les aprioris et les idées reçues ont la vie dures y compris chez les jeunes. Un sondage réalisé par l’Institut Dedicated, Amnesty International et SOS Viol en octobre 2019 et publié en mars 2020, indiquait que 16 % des répondant·e·s estiment que le port d’une tenue sexy ou provocante fait porter la responsabilité du viol à la victime ! Pire, 85 % des répondant·e·s estiment que les femmes « sexy » et « provocantes » sont parmi les plus exposées au viol. L’idée qu’une femme peut, par sa tenue, inciter un homme à la violer est l’expression de ces stéréotypes profondément ancrés dans notre société. Pourtant, dans les faits, des femmes sont violées ou agressées chaque jour quelque soit leur tenue ! Peu importe qu’elles portent un jean, une doudoune ou un sweat à capuche XXL !
Rétines et pupilles
Les garçons ont les yeux qui brillent
Pour un jeu de dupes
Voir sous les jupes des filles
Et la vie toute entière
Absorbés par cette affaire
Par ce jeu de dupes
Voir sous les jupes des filles
Elles très fières
Sur leurs escabeaux en l'air
Regard méprisant et laissant le vent tout faire
Elles dans l'suave
La faiblesse des hommes elles savent
Que la seule chose qui tourne sur terre
C'est leurs robes légères
...
© Les Editions Alain Souchon
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